Construire aujourd'hui pour 2050

Nous concevons aujourd'hui des bâtiments qui seront utilisés dans un climat plus chaud, plus sec, et globalement plus extrême. Quelles mesures prendre aujourd'hui pour garantir leur résilience future ?

Nicolas Pierret

Les choix que nous faisons aujourd'hui dans nos projets de constructions sont doublement cruciaux. Dans un premier temps, ils verrouillent une direction climatique et ont donc une influence majeure sur les changements climatiques en cours. Mais à moyen et long terme, ils doivent également permettre aux bâtiments de garantir le bien-être et la sécurité de leurs usagers dans ces futurs climats.

Sur la base des scénarios climatiques de la Suisse1, l'Office Fédéral de l'Environnement a produit une analyse des défis et des opportunités que représentent ces changements2, et nous permet d'esquisser quelques pistes pour intégrer dès aujourd'hui la notion d'adaptation et de résilience dans nos projets.

Ce sont ces documents que nous nous proposons de synthétiser dans cet article.

Les défis des changements climatiques

Sur l'hypothèse d'un scénario de poursuite des émissions au rythme actuel, l'OFEV a établi une liste de 12 défis à relever pour s'adapter aux changements climatiques, dont 8 associés à des impacts précis :

  • accentuation des fortes chaleurs dans les agglomérations et les villes ;
  • accroissement de la sécheresse estivale ;
  • élévation de la limite des chutes de neige ;
  • aggravation du risque de crues ;
  • fragilisation des pentes et recrudescence des mouvements de terrain ;
  • dégradation de la qualité de l’eau, des sols et de l’air ;
  • modification des milieux naturels, de la composition des espèces et des paysages ;
  • propagation d’organismes nuisibles, de maladies et d’espèces exotiques.

Ces défis constituent la base du plan d'action de la Confédération pour l'adaptation aux changements climatiques3.

Directement ou indirectement, chacun de ces impacts du changement climatique affectera les bâtiments dans le futur.

Nous avons choisi d'explorer ceux dont l'adaptation nécessite des actions significatives dès aujourd'hui, sous peine d'entraîner une mal-adaptation dans les décennies à venir.

Accentuation des fortes chaleurs dans les agglomérations et les villes

"En raison des changements climatiques, les vagues de chaleur sont plus fréquentes, plus intenses et plus longues.
Si les émissions de gaz à effet de serre continuent à augmenter sans restriction, l’été moyen du milieu du siècle (2060) pourrait être environ 4,5 °C plus chaud que les étés actuels."

Les populations vivant dans les agglomérations sont particulièrement touchées par les vagues de chaleurs dû au phénomène d'îlots de chaleur.

Ce phénomène se traduit par un écart significatif des températures diurnes et nocturnes en ville par rapport à la campagne environnante (pouvant aller jusqu'à 10°C). Ces écarts sont causés notamment par :

  • une mauvaise circulation d’air due à la densité du bâti
  • la forte absorption du rayonnement solaire par des surfaces sombres et imperméabilisées (asphalte, toitures, etc)
  • la chaleur émise par le trafic, les installations des bâtiments et de l’industrie
  • l’absence de végétalisation

La qualité de l'environnement bâti joue un rôle primordial dans la matérialisation et l'amplitude des risques liés à l'augmentation des vagues de chaleurs dans les agglomérations, notamment :

  • les risques sanitaires et les atteintes à la santé humaine
  • la baisse des performances au travail
  • la hausse du besoin en énergie de refroidissement
  • des atteintes aux infrastructures d’énergie et de transport
  • la restriction de l’utilisation de l'eau pour le rafraichissement

Adaptation de la construction aux fortes chaleurs

Face à ces risques, un certain nombre de mesures sont à prendre dès la planification urbaine jusqu'à la conception des bâtiments et des infrastructures.

1. L'ensemble des choix d'aujourd'hui doit être fait au regard des scénarios climatiques de la Suisse, en prenant en compte non seulement l'augmentation des températures moyennes, mais également la multiplication des températures extrêmes auxquelles devront faire face les bâtiments et leurs habitants.

2. Le développement urbain devra être fait de manière à atténuer voire supprimer l'effet d'îlot de chaleur, en s'appuyant sur :

  • une plus grande végétalisation
  • une orientation adéquate des bâtiments
  • une réflexion sur la matérialisation et la perméabilité des sols
  • la limitation des émissions et des rejets de chaleur dans l'environnement

3. Au niveau des bâtiments, ils doivent être construits de manière à offrir des conditions de vie et de travail saines et sûres durant toute leur vie et face à toute type d'évènement climatique, tout en limitant l’augmentation des besoins en énergie de refroidissement. Pour cela, il est nécessaire de :

  • limiter les gains thermiques, en isolant correctement et en privilégiant des mesures constructives pour la protection thermique
  • développer des stratégies de rafraichissement passives
  • Le complément de rafraichissement doit être produit de manière à n'entrainer qu'un minimum d'émissions (de polluants ou de chaleur), en favorisant une production décentralisée et décarbonée par exemple.

Accroissement de la sécheresse estivale

"Les changements climatiques entraîneront une diminution des précipitations en été ainsi qu’une augmentation de la durée des périodes sèches. Conséquence de ces deux phénomènes, la disponibilité de l’eau pour la société et l’économie et pour les milieux naturels ne sera plus la même."

Le rôle central de l'eau dans nos sociétés, à la fois comme produit vital de consommation, ressource pour la production ou l'énergie, ou encore comme élément de loisirs et de rafraichissement implique des impacts majeurs en cas de période de sécheresse prolongée.

La manière dont nous utiliserons nos bâtiments aura une influence primordiale sur les risques liés à l'accroissement des sécheresses estivales, dont :

  • une hausse des pénuries d'eau, et des conflits d'usage
  • une augmentation des risques d'incendie
  • une baisse de la production hydroélectrique en été

Adaptation de la construction aux pénuries d'eau

Pour répondre à une raréfaction des ressources en eau, et afin de garantir la résilience des bâtiments face à la répétition des épisodes de sècheresse, il faut dès maintenant planifier des bâtiments sobres et efficaces du point de vue de leur usage de l'eau.

1. La gestion des ressources en eau d'un bâtiment doit intégrer son environnement immédiat, et permettre un captage et stockage des eaux pluviales.

2. Pour minimiser les besoins d'eau potable captée depuis le réseau, il est nécessaire de planifier un usage adéquat de l'eau dans les bâtiments, en fonction de sa disponibilité et de sa qualité (en distinguant eau potable, eau de pluie et eau recyclée).

3. Une plus grande efficacité thermique des bâtiments aura comme effet de réduire les besoins de refroidissement (et donc une diminution de l'usage de l'eau pour ces processus).

4. Enfin, l'aménagement du territoire et les constructions, en particulier dans les milieux forestiers, doivent prendre en compte l'aggravation du risque d'incendies et mettre en œuvre dès aujourd'hui des mesures de prévention et de mitigation.

Aggravation du risque de crues

" En hiver, les changements climatiques pourraient entraîner une hausse du risque de crues* du fait de l’augmentation à la fois des précipitations et de la limite des chutes de neige.

Comme on s’attend à des périodes plus intenses et plus fréquentes de fortes précipitations, il faut également prévoir une aggravation du risque au cours des autres saisons et surtout des dégâts importants liés au ruissellement.

Au printemps et au début de l’été, le risque de crues pourrait également s’accroître en raison de la conjonction d’une fonte des neiges à grande échelle et de pluies abondantes. "

* La notion de "crue" couvre en réalité trois risques : les inondations provoquées par l'augmentation du niveau des lacs et des cours d'eau, le ruissellement en surface lors de fortes précipitations, mais également la remontée en surface d'eaux souterraines, canalisées ou non.

La multiplication des évènements de crues implique l'augmentation de risque concernant l'environnement bati, en particulier :

  • les dommages aux bâtiments
  • la baisse de la production hydroéléctrique
  • la baisse de la qualité de l'eau

Adaptation de l'environnement bâti à l'augmentation du risque de crues

La protection contre les crues doit privilégier une approche systémique, intégrant des approches d'aménagement territorial, la construction d'infrastructures, et l'adaptation des bâtiments.

1. La prise en compte dès aujourd'hui de l'évolution des risques de crues nécessite en premier lieu d'adapter les cartes de risques.

2. Ce faisant, des mesures pourraient être nécessaire pour protéger les zones habitées qui n'étaient auparavant pas exposées.

3. L'aménagement du territoire et les aménagements urbains devront intégrer une gestion de l'eau en cas de fortes précipitations et de crues, en donnant plus de place à l'eau et en introduisant ainsi de nouvelles formes et de nouveaux usages des espaces urbains.

Sources